Manuscrits et archives

Le 29 septembre 1873, deux jeunes gens, Louis Wegmann (1861- 1920) et son cousin, Henri Grasset (1860-1902), décident de fonder le Club des Grimpeurs de Genève (ci-après le Club), lors d'une course au sommet du Salève. L'acte de fondation est signé le jour-même à la Tour des Pitons. Le dessein du Club y est défini ainsi : « [...] faire des ascensions dans les montagnes environnantes du canton de Genève et des courses dans le pays d'alentour [...]». Louis et Henri choisissent « Excelsior ! » comme devise et se partagent les fonctions de président, secrétaire et trésorier. Ils sont rejoints, le 4 octobre, par Jacques Grasset (?-1935), le frère d'Henri.

Durant quatre ans, l'existence du Club demeure confidentielle, selon les voeux de ses fondateurs, et le trio fait de belles courses au Salève et aux Voirons, fréquentes destinations de leurs excursions. A partir d'octobre 1877, il s'ouvre progressivement, d'abord à des proches, puis plus largement à de nouveaux membres. A cette époque, il n'existe à Genève que très peu de sociétés de montagne. Le Club alpin suisse (CAS), dont la section genevoise est fondée le 21 février 1865, est considéré comme assez fermé, réservé à une « élite ». Le Club des Grimpeurs de Genève semble, quant à lui, accessible à des gens de condition plus modeste, notamment aux étudiants, qui s'y sentent à l'aise.

Les premières séances officielles ont lieu en octobre 1877, rue du Conseil-Général 8, au domicile du secrétaire, Frédéric Céret, adopté comme local ordinaire jusqu'en juin 1879, avant que le Club ne s'installe dans un local qu'il louera au 20, rue du Marché. C'est à cette époque qu'il commence à se structurer et à s'organiser : les nouveaux membres sont officiellement enregistrés après avoir versé leurs cotisations ; les premiers statuts et règlements sont élaborés ; les couleurs (vert, blanc et bleu), l'armoirie (une gentiane du Salève), et l'insigne (un ruban en sautoir) du Club sont adoptés.

Les séances réunissent quatre types de membres : les sociétaires, les honoraires, les étrangers et les candidats. Ces derniers, qui doivent être âgés d'au moins 16 ans et avoir préalablement fait leurs preuves en montagne, lors d'une ou de plusieurs courses de candidature, sont toujours présentés par deux membres actifs ou honoraires et ne deviennent sociétaires qu'après que leur candidature eut été soumise au vote de l'assemblée et acceptée par cette dernière.

Le statut et les droits des membres étrangers font l'objet de nombreux débats entre les tenants d'une ligne patriotique -dont Louis Wegmann est le représentant- qui considèrent que pour être membre actif et avoir le droit de vote, il faut être de nationalité suisse, et ceux qui considèrent que le Club n'est pas et ne doit pas être une société exclusivement patriotique. En septembre 1878, il est décidé que les étrangers peuvent être admis si les trois quarts des membres de l'assemblée y sont favorables mais qu'ils ne peuvent pas faire partie du comité.

A cette époque, l'honorariat est souvent accordé aux membres qui ne sont plus domiciliés à Genève. En 1884, le Club compte dix-huit membres honoraires dont certains ont émigré en Allemagne, en Angleterre, aux Pays-Bas, en France et même aux Etats-Unis pour poursuivre leurs études ou pour des raisons professionnelles.

Les règlements adoptés prévoyant la création de sections en dehors de Genève mais pas hors de Suisse, on vote également très rapidement la création de celle de Lausanne. En effet, plusieurs membres du Club quittent la Cité de Calvin en 1877 pour poursuivre leurs études dans cette ville. Le 25 octobre 1877, Emile Meylan, Daniel Meylan et Gustave Maillard fondent officiellement la section lausannoise. Emile Meylan en prend la présidence. En 1880, elle compte sept membres, majoritairement des étudiants.

Le 1er décembre 1877 a lieu la première assemblée centrale réunissant les membres des deux sections. Des discussions nourries ont lieu quant à l'organisation et au fonctionnement de cette nouvelle instance faîtière, notamment en ce qui concerne la présidence des assemblées et des courses, la composition du comité, l'organisation de l'administration, la vérification des comptes de la caisse centrale et l'élaboration des règlements centraux. Des compromis sont trouvés lors de la seconde assemblée centrale qui a lieu un mois plus tard et qui voit l'élection d'un Vaudois, Gustave Maillard, comme président-caissier, et celle d'un Genevois, Frédéric Céret, en tant que vice-président-secrétaire. Les membres de la section lausannoise se rendent quatre ou cinq fois par année à Genève pour assister aux séances centrales.

La section de Neuchâtel est fondée le 11 janvier 1878 et elle est définitivement constituée le 16 janvier. Henri Grandjean en est à la fois membre fondateur et président. Elle compte dix-huit membres actifs et six membres honoraires. Son existence est cependant brève, puisqu'elle est dissoute le 17 avril de la même année. D'autres projets de création de section dans le canton de Vaud sont abandonnés, notamment au Sentier, et celle de Lausanne semble ne pas avoir survécu après 1880.

La première assemblée générale de la section genevoise a lieu le 2 mars 1878 et donne lieu à l'élection du comité. Louis Wegmann, Henri Grasset et Frédéric Céret sont confirmés respectivement dans leur fonction de président, vice-président-caissier et secrétaire du Club.

Les premières courses ont lieu au Salève (aux Pitons, à La Grande Gorge) et passent par les communes haut-savoyardes situées aux alentours, notamment la Muraz. D'autres courses, plus longues, ont comme destination le Pont-de-la-Caille, près de Cruseilles, ou ont lieu dans la campagne genevoise (Cartigny-Avully-Chancy), et même dans le Jura (Col de la Faucille). La première course centrale réunissant les deux sections a lieu à la Vallée de Joux : Genevois et Lausannois se retrouvent à Rolle, puis atteignent le Sentier en passant par le col du Marchairuz.

Au tournant du siècle, le Club compte une cinquantaine de membres, une petite septantaine en 1917. Le développement du chemin de fer, puis plus tard des transports motorisés, permettent d'élargir progressivement la zone géographique des courses, non seulement en Haute-Savoie (Faucigny, Aravis), en Savoie (Tarentaise) mais également dans le Chablais valaisan et du côté italien du Cervin.

Dans les années 1920 et 1930, le programme des courses s'étoffe et même si toutes ne se réalisent pas sur la vingtaine de prévue annuellement, elles rassemblent régulièrement entre six et quinze participants. Le Mont-Blanc, la Dent Blanche, le Cervin sont des destinations prisées. Les courses d'hiver, notamment les courses à ski effectuées dans le Beaufortin, la Vanoise, la Vallée d'Aulps, sont plus suivies que celles d'été. En août 1923, la course du cinquantenaire a lieu dans le Massif de Tré-la-Tête, la partie sud-ouest de la chaîne du Mont-Blanc.

En 1928, le Club inaugure un chalet aux Carroz, en Haute-Savoie, dont les travaux de rénovation et de réaménagement ont été effectués par les membres. De nombreuses sorties, souvent en famille, y sont organisées, de même que des concours de ski. En avril 1930, un séjour d'une dizaine de jours en Corse rencontre un joli succès. En 1933, une plaque commémorative est posée aux Pitons pour le soixantième anniversaire du Club.

Durant la Seconde Guerre Mondiale, la fermeture des frontières n'est pas sans conséquence pour le Club. Peu de courses sont organisées et toutes ont lieu en Suisse. Après-Guerre, il faudra du temps aux membres pour renouer des liens distendus et reprendre leurs activités.

Dans les années 1960, le Club est vieillissant et peine à mobiliser ses membres, notamment les jeunes. Lors des séances, les excusés sont souvent plus nombreux que les présents. En 1969, seules quatre courses sont effectuées, alors que le Club compte plus de quatre-vingts membres. La création de la semaine Garcin, grâce à un don de Paul Garcin à l'occasion du cinquantième anniversaire de son adhésion, l'organisation d'une course d'escalade artificielle, le projet de relancer les cours de varappe au Salève à destination des jeunes et de proposer des cours de ski aux membres sont autant de tentatives de redonner vie au Club. Le nonante-cinquième anniversaire du Club aura lieu à Zermatt en mai-juin 1968.

La décennie suivante sera marquée par une reprise des activités liées aux courses, par l'organisation du centième anniversaire du Club à Pontresina, aux Grisons, par la révision des statuts, le 31 mars 1977, permettant enfin l'admission des femmes.

Dans les années 1980, le Club connaît des problèmes de locaux l'obligeant à se séparer de sa bibliothèque et à déménager ses archives. Il compte une petite centaine de membres dont beaucoup de jeunes parents moins disponibles. Dans les années 1990, les assemblées -même organisées de manière moins formelle- ne rencontrent guère de succès. Les sorties en famille sont privilégiées au détriment de courses plus exigeantes. A la fin de la décennie, et pour la première fois depuis longtemps, le Club est déficitaire. Il ne parvient pas à attirer de nouveaux membres, notamment les jeunes qui ne se reconnaissent pas dans ses structures.

Les années deux mille seront celles du déclin malgré les efforts des membres du comité. Dans le courant de l'année 2008, le Club se voit contraint de libérer le local loué au Café des Banques. Il n'a plus d'adresse et sera désormais domicilié chez son président de l'époque, Luc Lorenz. En 2010, la dissolution est envisagée une première fois, lors d'une assemblée générale qui se tient au Café des Semailles, au Grand-Lancy. Elle sera finalement repoussée et un nouveau comité tentera vainement de relancer les activités du Club.

Le 23 mai 2013, l'assemblée générale vote, à l'unanimité, la dissolution du Club au 31 décembre 2014. Le cent quarantième anniversaire du Club sera célébré en 2014 par l'organisation de la semaine Garcin en Sicile et les fonds du Club seront légués à une dizaine d'associations de montagne.

Les personnalités qui ont compté :

Dès sa création, le Club des Grimpeurs de Genève est avant tout une histoire de famille. Louis Wegmann et les frères Grasset, Henri et Jacques, sont cousins. Plusieurs générations d'une même famille vont se succéder au sein du Club : les Molly, les Boujon, les Juge, les Genecand.

Les membres du Club lui sont fidèles, certains comme Paul Garcin et Philippe Boujon ont plusieurs dizaines d'années d'ancienneté, d'abord en tant que membres actifs, puis en tant que membres honoraires du Club. Ces membres sont généreux également, puisqu'ils vont léguer des sommes importantes au Club qui en constitueront la fortune et qui vont lui permettre de financer certaines de ses activités, notamment la semaine Garcin et le week-end Boujon, grâces aux intérêts des sommes placées.

Parmi ses membres, on trouve également des alpinistes chevronnés. Jean Juge (1908-1978), physicien de formation, est entré au Club en 1930, il en fut le président de 1947 à 1949, puis plus tard celui de l'Union internationale d'alpinistes. Parmi ses exploits : l'éperon de la pointe Walker en 1970, la face nord de l'Eiger en 1976. Il meurt d'épuisement et de froid en 1978, alors qu'il essaie de vaincre la face nord du Cervin.

Félix-Valentin Genecand, dit Tricouni (1879-1957), bijoutier-sertisseur de formation, est l'inventeur d'une ferrure à pointes qui s'adapte aux chaussures de montagne à semelles de cuir, appelé clou Tricouni, du nom d'un ingénieur italien, compagnon de cordée de Genecand. Son invention brevetée, il ouvre sa société, la Tricouni SA, à Carouge. Le clou Tricouni connaîtra un succès mondial et sera suivi d'autres inventions, notamment la chaussure sans lacets avec fermeture à boucle. Au Canada, une chaîne de montagnes a été appelée « Monts Tricouni » et dans l'Antactique, un sommet porte le nom de Mont Genecand. Félix Genecand ouvre deux voies au Salève (Tricouni inférieur et supérieur) et détiendra durant de longues années un record du monde de saut à ski à Chamonix.

Les toutes premières années d'existence du Club connaissent un foisonnement d'activités aussi diverses que variées, dont beaucoup n'ont pas perduré. Une section littéraire est fondée en 1878, puis une section de chant en 1879. Un chansonnier regroupant les chants du Club est d'ailleurs élaboré à cette même époque. Des soirées théâtrales, littéraires et musicales sont organisées, rassemblant familles et amis. Un carnet recensant les bonnes adresses d'auberges et un autre rassemblant des cartes des sentiers parcourus lors de courses sont le fruit d'un travail collectif.

Des chroniques sont rédigées et illustrées, préfigurant la création d'un journal en 1880, « Le Petit Grimpeur », dont la parution est occasionnelle avant de devenir mensuelle dès 1881. Il disparaîtra pour renaître en 1905 sous un autre titre « Le Grimpion ». D'autres tentatives, plus tardives, de lancer un nouveau journal échoueront. En 1908, le rapport du Comité parle des sections d'escrime et de bowling, qui vont leur petit bonhomme de chemin. Durant ces mêmes années, les séances des assemblées sont souvent suivies de récits de courses, de petites conférences à vocation scientifique, puis bien plus tard de projections de diapositives ou de films, de comptes rendus de voyages.

Parmi les activités du Club des Grimpeurs de Genève, les courses occupent la place la plus importante. Plus d'une vingtaine de courses officielles sont organisées chaque année, auxquelles s'ajoutent des courses dites particulières, faites parfois en très petit comité. En 1908, le Comité se félicite du développement de la section de ski.

Avec les années, les programmes des courses se déclinent en courses d'été pour les piétons et les alpinistes, en courses d'hiver pour skieurs-alpinistes. En 1928, le Club inaugure un chalet au Carroz et de nombreuses sorties y sont organisées dans les années 1920 et 1930, dont un concours de ski réunissant plusieurs disciplines : vitesse, obstacles, slaloms et costumes.

Dès le début des années 1960, une semaine d'ascensions, appelée semaine Garcin, plus particulièrement destinée aux jeunes, est mise sur pied chaque année en été. Des week-ends familles sont également proposés dès les années 1970, auxquels viendra s'ajouter le week-end Boujon dès l'année 2000, sans oublier les sorties plus traditionnelles comme celle des Mi-Gras, qui a lieu chaque année en automne, en général en Valais, et les soirées de l'Escalade.

Acte de fondation du Club des Grimpeurs de Genève (29.09.1873)

Statuts du Fonds de secours en cas d'accident (1926)

Statuts du Club des Grimpeurs de Genève (31.03.1977)

La structure et le fonctionnement général du Club sont définis dans les statuts approuvés par l'Assemblée générale. La direction du Club est confiée à un comité composé de sept membres qui en assure la marche générale et le développement. Le comité est élu à l'assemblée générale annuelle, à la majorité simple des votants, pour une durée de deux ans.

Il est composé d'un président, d'un vice-président, d'un trésorier, d'un secrétaire, d'un bibliothécaire-archiviste, d'un membre-adjoint et d'un responsable du programme des courses. Le comité liquide les affaires courantes et gère les finances du Club.

L'assemblée générale est le pouvoir souverain du Club. Elle se réunit une fois par mois sauf en été. Au cours du premier trimestre de chaque année a lieu une assemblée générale dite annuelle. Le président, le trésorier, le bibliothécaire-archiviste et le responsable du programme des courses y présentent leur rapport sur respectivement la marche du Club, les comptes de l'exercice écoulé, la gestion de la bibliothèque et des archives, les courses faite pendant l'année précédente. Les comptes sont vérifiés avant l'assemblée générale par deux membres vérificateurs et un suppléant, pris en dehors du comité et élu pour deux ans. La présentation du budget, la fixation des cotisations et, s'il y a lieu, les nominations du comité et des vérificateurs des comptes ont lieu durant l'assemblée générale annuelle. Le secrétaire est chargé de la rédaction et de la lecture des procès-verbaux de chaque assemblée.

L'assemblée est compétente pour statuer sur l'admission d'un candidat, pour prononcer l'exclusion ou la radiation d'un membre, ainsi que pour conférer le titre de membre honoraire à toute personne jugée digne d'en faire partie. Pour être admis, le candidat doit être âgé d'au moins 16 ans, être présenté par un membre actif, et avoir subi un noviciat en participant aux activités du Club. Le vote en faveur de l'admission des femmes en tant que membres actifs au sein du Club a eu lieu lors de l'assemblée générale du 31 mars 1977.

L'assemblée peut autoriser, dans le sein du Club, la création de différentes sections susceptibles d'en augmenter l'activité. Ces sections s'administrent elles-mêmes. Elle est également compétente pour accepter toute révision des statuts et se prononcer sur la dissolution du Club et l'attribution du total de l'actif à une organisation de son choix se rapportant à la montagne et n'ayant pas de but lucratif.

Les statuts définissent également l'organisation générale des courses et leur subventionnement. Le responsable du programme des courses élabore, après consultation des membres intéressés, un programme d'été pour piétons et alpinistes et un programme d'hiver pour skieurs-alpinistes. En dehors de ces programmes, des courses peuvent être proposées en tout temps. Chacune est placée sous la responsabilité d'un chef de course et fait l'objet d'un compte rendu rédigé par l'un des participants, lu en assemblée et déposé aux archives.

Les participants aux courses ou aux autres manifestations organisées par le Club peuvent obtenir des subventions dont les montants et les conditions d'octroi sont proposés par le Comité à l'assemblée générale annuelle, en fonction des finances du Club. Le montant total de ces subventions étant porté au budget. D'autres subventions peuvent être allouées chaque année pour l'acquisition de matériel alpin mis à la disposition des membres et dont l'inventaire est remis à jour annuellement par le responsable du programme des courses.

Un fonds de secours en cas d'accident a été créé en 1926 afin d'aider les membres du Club victimes d'un accident de montagne. Il est alimenté par des dons volontaires et une subvention annuelle de la caisse, fixée par les membres à l'assemblée générale annuelle, après examen du résultat financier de l'année. Ce fonds est mis à la disposition du Comité qui en assure la gestion et qui, après avoir procédé à une enquête sur l'accident, est seul compétent pour fixer la somme à attribuer à la victime. Ce fonds n'intervient qu'à titre subsidiaire, en complément de l'assurance personnelle de chaque membre.

Le Club des Grimpeurs de Genève a été fondé, à quelques années près, à la même époque que la section genevoise du Club alpin suisse et tous deux font partie des premières sociétés de montagne créées à Genève. S'ils diffèrent par le nombre de leurs adhérents, leurs moyens, leur organisation, leur influence dans la vie sociale genevoise et dans le milieu de l'alpinisme, leurs activités sont cependant très proches. Des relations interpersonnelles se sont établies entre certains de leurs membres durant leur histoire plus que centenaire.

Fonds d'archives